dimanche 29 août 2010

Belgique : pour un renouveau de la CNT

Un interview  était paru dans le n°20 - Printemps 2010 d'A Voix Autre (journal anarchiste belge).
Pour télécharger le journal complet c'est ICI

Voici l'article :

  - Une CNT en Belgique, c’est pas la première fois qu’on en entend parler ... et ça n’a jamais donné grand chose. Penses-tu que les choses peuvent être différentes?
Je n’ai pas connu les autres tentatives mais elles ont tout de même eu le mérite d’exister. C’est un peu comme quand un fumeur souhaite arrêter la cigarette: chaque tentative est importante jusqu’à sa dernière bouffée. Il faut aussi tenir compte des contextes, des personnes, des réponses qu’elles ont reçues
(ou non)... Un tas de facteurs peut infl uencer le résultat fi nal.
Dans ce cas-ci, il y a la détermination, les contacts soutenus avec nos voisins français et de la motivation dans diverses régions du pays. Alors, pourquoi ne pas y croire?

- D’un point de vue un peu extérieur, les réactions sont parfois très tièdes dans le milieu libertaire, souvent d’ailleurs parce qu’actuellement, c’est la tendance « autonome » (ultragauche pour ne pas la nommer) qui a le vent en poupe. Penses-tu qu’une « association officielle» puisse convaincre?
Tiède n’est pas le mot adapté, on peut dire que l’accueil est froid voire glacial (rire). Ce que certains ignorent peut-être, c’est que faire partie d’une «association offi cielle» n’enlève rien à l’autonomie puisque, dans le cas de la CNT, il s’agit de groupes régionaux autonomes. Leur statuts peuvent même varier d’un endroit à l’autre, en fonction des désirs des membres qui la conçoivent. De plus, les valeurs défendues par la CNT se retrouvent dans les discours libertaires: action directe, autogestion, démocratie directe, émancipation... Je ne vois donc pas en quoi le libertaire y perdrait de son autonomie.
Par contre, à mon avis, il existe un réel danger d’isolement à rester attaché scrupuleusement aux dogmes. Le libertaire se voit privé de sa liberté qui lui est si chère, ne pouvant participer à ceci ou adhérer à cela parce que cela va à l’encontre de telle ou telle théorie. On parle ici d’actions concrètes ouvertes
à tous, les idées révolutionnaires sont parfois bien éloignées de la réalité terre-à-terre. Maintenant, je ne veux pas non plus faire de généralité, les avis positifs et mitigés sont majoritaires et certaines personnes ne partageant pas les idées de la CNT souhaitent tout de même militer (affi chage, distribution de tracts...), ça c’est de l’ouverture! (rire)

- Comment envisages-tu le développement d’un tel mouvement? Crois-tu qu’une certaine représentativité soit concevable (à court, moyen, long terme)?
 A l’heure actuelle, la représentativité est plus que concevable, elle est souhaitée. C’est ce qui a valu à la CNT son éviction de l’AIT (ne pas confondre CNT-AIT et CNT). La CNT souhaite donc participer aux élections sociales afi n d’éviter toute pression patronale. Une personne se revendiquant «anarchosyndicaliste» éprouvera toutes les peines du monde à travailler dans une ambiance sereine et se verra à coup sûr
remercier pour quelque raison factice (la crise aura encore bon dos). L’idée nouvelle est d’instaurer la révocabilité des élus. Un blaireau élu l’est pour quatre ans et ce n’est pas certain que d’autres blaireaux votent pour lui aux élections suivantes...
En plus des droits liés à ces élections, le militant bénéficiera d’une solide vitrine, pouvant ainsi plus facilement parler des idées qu’il défend. Maintenant, pour pouvoir se présenter aux élections sociales en Belgique, un syndicat doit compter 50000 membres et être interprofessionnel. La CNT belge restera donc dans la marginalité pendant un bon bout de temps (à mon avis).
Concernant le long terme, je ne pense plus que la représentativité soit désirable puisque le but recherché est l’émancipation des travailleurs, la fi n du patronat. Les décisions en entreprise se prennent donc de manière horizontale et plus verticale, hiérarchique. Les productions sont adaptées aux besoins réels,
locaux et ne doivent plus répondre à un quelconque marché abstrait. Mais tout celà est encore loin...

- En Belgique où les syndicats sont totalement intégrés à la gestion du système, n’est ce pas difficile/ambitieux de rentrer en concurrence avec ces syndicats de services (organisation du chômage, aide juridique,...)?
  A partir du moment où les choses sont claires dès le départ et que la CNT ne se présente pas comme étant un syndicat de service mais de lutte, la concurrence n’existe pas. La tâche n’en sera pas moins difficile pour autant, je ne m’attends pas à recevoir de cadeaux. De plus, les syndicats existant fonctionnent
de la même manière: des permanents, des secrétaires, des présidents... Tous ces postes rémunérés ne le sont pas avec le cotisations des affi liés; l’argent provient de subvensions. Les organisations syndicales traditionnelles ne sont donc pas indépendantes. La CNT est basée sur le volontariat, ses membres
prenant tout en charge (gestion d’un blog, secrétariat...). Le projet peut paraître ambitieux mais il ne l’est pas réellement: les groupes sont autonomes. Un pavé vient d’être jeté dans la mare, il n’y a plus qu’à observer la réaction. Je suis persuadé que cette tentative est la bonne, avis aux amateurs.

- Crois-tu que cela puisse peser sur la politique des syndicats traditionnels et les inciter à barrer un peu plus à gauche?
Ici et maintenant, non. Ne possédant pas de boule de cristal, je suis aussi incapable de prédire l’avenir. Par contre, c’est un souhait que je formule. Les pseudo manifs ressemblant plus à des promenades en ville, se déroulant d’un point «A» à un point «B», suivies des traditionnels discours des grands chefs et se terminant par un joli petit concert... Tout ça pour être oubliées dès le lendemain, non merci! N’est-il dès lors pas temps si ce n’est de virer à gauche, d’opter pour une autre vision du syndicat? Je n’ai plus forcément envie qu’un élu me déconseille d’arrêter le travail lorsqu’un collègue intérim s’est fait jeter comme un mal propre, ce n’est pas pour entendre des blagues débiles à chaque fois que je le croise que je lui ai fi lé ma voix. Cette étiquette de «guignol» portée à juste titre par pas mal d’élus est à mettre au placard, une alternative doit voir le jour. S’ils ne désirent pas barrer à gauche, nous le ferons à leur place, ça ne pose pas de problème. Peut-être y aura-t-il
incitation, tout dépendra de l’évolution des choses.

- En Allemagne, la F.A.U.-Berlin se retrouve traduite en justice et possiblement interdite, un commentaire?
Ce qui entrave le bon fonctionnement du système doit être écarté, isolé. C’est le cas ici. Je ne connais malheureusement pas les faits dans le détail mais preuve est encore faite qu’il faut se soumettre à la pensée unique, au politiquement correct et surtout bien rester dans les rangs. Comme je l’ai dit, je préfère de loin lancer les pavés dans la mare plutôt que dans les vitrines mais tout de même. Vivre une septantaine
d’années enfermé dans un costume sur mesure sans avoir le doit de regarder de côté, d’avoir une opinion ou un projet de société différent et finir entre quatre planches après avoir
trimé toute sa vie pour des clous. Merde! Laissez-nous penser, c’est encore un luxe qu’on peut se permettre.

- Penses-tu qu’un réseau international puisse être la base d’un mouvement vraiment fort?
Bien entendu et c’est déjà le cas. Malheureusement pas encore en Belgique mais nous pourrons compter sur pas mal de soutien en cas de réussite du projet. Le but n’étant pas de créer des «cellules autonomes isolées» mais bien de créer un lien fort entre tous ces groupes, dépassant les frontières (physiques, linguistiques, religieuses...). On ne peut lutter seul mais au contraire faire bénéfi cier les autres de nos expériences
acquises, partager nos opinions, s’unir contre ce système qui ne nous a pas attendu pour nous enfermer.
 Esseulés, nous sommes faibles, malléables à souhait.

- Autre chose à ajouter?
J’ai toujours quelque chose à dire, il ne fallait pas me donner la parole (rire). Je voulais simplement souligner que ceci n’était que le refl et de ma pensée, de ma vision du présent et qu’elle n’engage que moi. La philosophie à deux balles (ou plutôt, deux «cents») ne m’intéresse pas, préférant la simplicité.
Je ne cherche pas non plus à convaincre, n’étant ni marchand de tapis ni concessionnaire automobile. Il y avait simplement une idée à soumettre, «Ici et Maintenant». Il faut aussi ajouter que le fait d’adhérer à un groupe «offi ciel» ne nuit en rien à l’activité locale en groupe «non offi ciel», les deux étant même complémentaires; le tout étant de s’engager afi n d’obtenir la maîtrise de sa vie. A l’heure actuelle, nous militons en réseau pour la CNT tout en gardant nos couleurs syndicales
afin de bénéficier d’un maximum d’expérience de terrain et de ne pas nous «griller» en cas d’échec. Toutes les personnes intéressées peuvent prendre contact avec la CNT (www.cntf. org), même un petit coup de main «anodin» est le bienvenu, le tout étant de rendre le mouvement visible. Je terminerai
en remerciant AvA pour cette aide inattendue à ce stade de l’évolution et surtout inespérée.


[DaViD & aVa]

cnt.b.info@gmail.com

jeudi 12 août 2010

Belgique : éveil anarcho-syndicaliste

 

 Depuis quelques mois, en lien avec la CNT 59, des militant-es se sont regroupés en Belgique afin de créer les bases d’une organisation anarcho-syndicaliste. Laurent est l’un d’entre eux. Petit tour d’horizon sur son parcours et sur la réalité de la lutte des classes chez nos voisins belges.
 
Laurent tout d’abord peux tu te présenter ?
J’habite un petit village dans le nord de Namur (capitale de la Wallonie), je travaille depuis 12 ans comme ouvrier de production dans une entreprise pharmaceutique. Fils de menuisier et de mère au foyer, aîné d’une famille de trois enfants ,je suis âgé de 35 ans .
 
Quelle est ta trajectoire militante ?
Je me suis syndiqué lorsque j’ai commencé à travailler. A l’époque intérimaire dans une entreprise alimentaire, il m’a été conseillé de m’affilier. Deux syndicats étaient représentés : la FGTB (socialiste) et la CSC (chrétien) ; il m’a fallu choisir entre la porte de gauche et la porte de droite. Jeune et innocent, je ne connaissais rien au monde du travail et encore moins au syndicalisme. Je suis donc resté chez les "rouges" plus par habitude que par conviction.
Il y a environ cinq ans, un représentant socialiste est venu faire un scandale au sein du service où je travaillais : hurlements, menaces... Est-ce ça le syndicalisme ? Avec quelques collègues relativement dégoûtés par les méthodes, je me suis mis à la recherche d’une autre organisation syndicale et suis "tombé" sur les libéraux. Notre décision a été vite prise de s’y affilier et de tenter l’aventure du militantisme "actif". Ici encore, le choix du syndicat n’a pas été effectué par conviction mais bien pour travailler nous-même sur le terrain et nous prouver qu’être syndicaliste n’est pas cette caricature qui nous est peinte quotidiennement mais bien un travail de service à la collectivité.
 
D’où vient cette idée de créer une CNT en Belgique ?
Là, on va y passer la nuit... Quand j’ai eu l’âge de voter, choisir un parti auquel accorder ma confiance s’est fait de la même manière que le choix d’un syndicat : j’ai voté comme papa. Avec le temps, la conscience se forge au fil de l’actualité, des discussions, des lectures. L’écologie est devenu pour moi un aspect important de la vie : sans environnement préservé, pas de vie possible sur terre (pour l’homme y compris). Ma voix s’est donc portée vers les écolos. Ensuite, sont survenues les grosses fermetures d’entreprise en Belgique, les grèves et manifs qui en découlent, les familles écartées de la vie active qui se demandent de quoi demain sera fait. C’est là que le sentiment d’injustice sociale s’est mis à germer. Est-ce la faute de tous ces pauvres gens si l’économie va mal ? D’ailleurs, va-t-elle réellement si mal ? A qui profite le crime ? Je me suis donc mis à la recherche d’un parti qui pourrait apporter des réponses à ces questions et surtout proposer des alternatives réelles. Le PS est noyé dans les affaires depuis des années. A l’exception du nom, on n’y trouve plus rien de socialiste. Après d’énormes hésitations, leur cote de popularité n’étant pas spécialement au beau fixe depuis pas mal d’années, j’ai contacté les communistes (PC et LCR) : peu voire pas de réponse de leur part. C’est à ce moment que je me suis mis à considérer la politique comme un cirque dans lequel une bande de clowns (aussi navrant les uns que les autres) se donnaient en spectacle devant un public de moins en moins convaincu. Il y a un peu plus d’un an, j’ai fait la connaissance d’anarchistes sur un forum français sur lequel je suis arrivé un peu au hasard d’un "surf" en fin de soirée arrosée. Les concepts d’autonomie, d’auto-organisation, de liberté, d’action et de démocratie directe m’ont tout de suite plus. Avec un des membres de ce forum, j’ai (pompeusement) créé le Collectif Anarchiste Namurois qui n’est, à l’heure actuelle, qu’à l’état de blog sur lequel sont postés des articles de presses alternatives, des vidéos, des invitations à manifester... Voilà enfin l’idée de créer une CNT en Belgique. En cherchant des liens à poster sur le blog, j’ai fait la connaissance de quelques membres de la CNT française qui ont à chaque fois donné suite à mon courrier (ce qui n’est pas forcément le cas des autres organisations). Après avoir pris pas mal de renseignements, innondé leur boîte mail, je me suis dit qu’il était peut-être temps de lancer une alternative, parfaite jonction entre politique et syndicalisme. Plus besoin de parti ni de syndicats qui y sont liés. L’anarchosyndicalisme ou le syndicalisme révolutionaire sont des formes de politique dans lesquelles l’homme est au centre des préoccupations. A 35 ans, je sais enfin pour quoi m’engager !
 
Quelle est la réalité du mouvement anarcho-syndicaliste et plus généralement libertaire en Belgique ?
Des tentatives ont déjà vu le jour tant du côté de la CNT que, plus récemment, celui de la CNT-AIT. Les événements ont fait qu’elles ont été avortées ou sont tombées dans l’oubli. Par contre, le mouvement libertaire donne l’impression de se développer. La Flandres donne l’exemple avec un nombre inouï de groupes en tous genres mais ni Bruxelles ni la Wallonie n’ont à rougir. La qualité y est privilégiée (humour). Cependant, d’après moi, toutes ces organisations souffrent d’un "replis identitaire", d’un manque d’ouverture dictée par des dogmes anarchistes. Toujours d’après mon opinion, une révolution ne peut être lancée que si elle est entendue par le plus grand nombre. Certains compromis sont donc parfois à faire (représentativité en entreprise, par exemple) si on souhaite que le message soit diffusé à tous et non réservé à une "élite". Certains craignent aussi une perte d’autonomie en faisant partie d’une organisation officielle (CNT) alors que rien n’empêche l’affiliation à un syndicat et l’appartenance à une organisation plus locale.
 
Quel est le panorama du syndicalisme belge et ses spécificités ?
A l’heure actuelle, trois "couleurs" syndicales se partagent l’affiche : la CSC (ouvrier) - CNE (employé) est le syndicat majoritaire depuis quelques années suivi de la FGTB (o) - SETCA (e) qui a cédé son leadership et finalement la CGSLB (tous statuts) qui représente environ 10% de monde syndical. Bien qu’elles s’en défendent, ces organisations sont étroitement liées aux partis politiques et, dans une autre mesure, avec le patronat. Comme partout, les grands discours prononcés par les divers présidents ne se reflètent pas spécialement sur le terrain. Sinon, un syndicat est une organisation de fait (et non de droit) qui doit comporter 50 000 membres pour pouvoir organiser des actions syndicales et se présenter aux élections sociales. L’organisation doit aussi être interprofessionnelle. Par contre, n’étant pas juriste, je ne connais ni les formalités ni les droits et obligations d’un syndicat. Comme d’habitude, mes questions restent sans réponse...
 
Dans le passé, autour de la lutte des forges de Clabecq et de D’Orazio, a existé un courant « lutte de classe » au
sein de la FGTB. Existe-t-il toujours ?
Que faut-il penser de tout ça ? L’histoire de la fermeture de forges a été une catastrophe pour la région, surtout que la Belgique est un des berceaux de la métallurgie. Mais là où les outils se sont modernisés ailleurs, ils ne l’ont pas été chez nous... Fallait-il accepter cette fermeture comme une fatalité ? Je ne crois pas. Faut-il parler d’un courant "lutte des classes" à cette époque à la FGTB ? Je ne crois pas non plus sinon on en parlerait encore aujourd’hui ; hors ce n’est pas le cas. On n’entend d’ailleurs parler ni de lutte des classes ni de D’Orazio. En Belgique, si ce n’est dans certains milieux "autorisés", les classes ne font plus recettes, elles ont un caractère désuet alors que, si on y réfléchit un peu, on constate que le peuple s’est bien fait endormir ces dernières décénies et que, même si elle a acquis une forme plus subtile, plus sournoise, elle existe toujours. Les travailleurs sont malheureusement pieds et poings liés, tenus de la boucler sous peine de perdre un boulot qui finance la maison, la voiture, la bouffe, les études des enfants, les vacances, GSM, écran plat, PC... Malgré tout, je reste confiant. L’homme industrialisé n’est pas heureux malgré toute cette "poudre aux yeux" qui lui fait croire à la puissance, au bonheur ultime. Un jour, la faim touchera à nouveau le travail et là, va falloir être prêt. Certains se rendront à nouveau compte qu’ils ont été bernés et qu’une seule classe prend toutes les décisions en sa faveur et au détriment de la grande majorité.
 
Propos recueillis par Jérémie, SI de la CNT.
Contact: cnt.b.info@gmail.com