Depuis quelques mois, en lien avec la CNT 59, des militant-es se sont regroupés en Belgique afin de créer les bases d’une organisation anarcho-syndicaliste. Laurent est l’un d’entre eux. Petit tour d’horizon sur son parcours et sur la réalité de la lutte des classes chez nos voisins belges.
Laurent tout d’abord peux tu te présenter ?
J’habite un petit village dans le nord de Namur (capitale de la Wallonie), je travaille depuis 12 ans comme ouvrier de production dans une entreprise pharmaceutique. Fils de menuisier et de mère au foyer, aîné d’une famille de trois enfants ,je suis âgé de 35 ans .
Quelle est ta trajectoire militante ?
Je me suis syndiqué lorsque j’ai commencé à travailler. A l’époque intérimaire dans une entreprise alimentaire, il m’a été conseillé de m’affilier. Deux syndicats étaient représentés : la FGTB (socialiste) et la CSC (chrétien) ; il m’a fallu choisir entre la porte de gauche et la porte de droite. Jeune et innocent, je ne connaissais rien au monde du travail et encore moins au syndicalisme. Je suis donc resté chez les "rouges" plus par habitude que par conviction.
Il y a environ cinq ans, un représentant socialiste est venu faire un scandale au sein du service où je travaillais : hurlements, menaces... Est-ce ça le syndicalisme ? Avec quelques collègues relativement dégoûtés par les méthodes, je me suis mis à la recherche d’une autre organisation syndicale et suis "tombé" sur les libéraux. Notre décision a été vite prise de s’y affilier et de tenter l’aventure du militantisme "actif". Ici encore, le choix du syndicat n’a pas été effectué par conviction mais bien pour travailler nous-même sur le terrain et nous prouver qu’être syndicaliste n’est pas cette caricature qui nous est peinte quotidiennement mais bien un travail de service à la collectivité.
D’où vient cette idée de créer une CNT en Belgique ?
Là, on va y passer la nuit... Quand j’ai eu l’âge de voter, choisir un parti auquel accorder ma confiance s’est fait de la même manière que le choix d’un syndicat : j’ai voté comme papa. Avec le temps, la conscience se forge au fil de l’actualité, des discussions, des lectures. L’écologie est devenu pour moi un aspect important de la vie : sans environnement préservé, pas de vie possible sur terre (pour l’homme y compris). Ma voix s’est donc portée vers les écolos. Ensuite, sont survenues les grosses fermetures d’entreprise en Belgique, les grèves et manifs qui en découlent, les familles écartées de la vie active qui se demandent de quoi demain sera fait. C’est là que le sentiment d’injustice sociale s’est mis à germer. Est-ce la faute de tous ces pauvres gens si l’économie va mal ? D’ailleurs, va-t-elle réellement si mal ? A qui profite le crime ? Je me suis donc mis à la recherche d’un parti qui pourrait apporter des réponses à ces questions et surtout proposer des alternatives réelles. Le PS est noyé dans les affaires depuis des années. A l’exception du nom, on n’y trouve plus rien de socialiste. Après d’énormes hésitations, leur cote de popularité n’étant pas spécialement au beau fixe depuis pas mal d’années, j’ai contacté les communistes (PC et LCR) : peu voire pas de réponse de leur part. C’est à ce moment que je me suis mis à considérer la politique comme un cirque dans lequel une bande de clowns (aussi navrant les uns que les autres) se donnaient en spectacle devant un public de moins en moins convaincu. Il y a un peu plus d’un an, j’ai fait la connaissance d’anarchistes sur un forum français sur lequel je suis arrivé un peu au hasard d’un "surf" en fin de soirée arrosée. Les concepts d’autonomie, d’auto-organisation, de liberté, d’action et de démocratie directe m’ont tout de suite plus. Avec un des membres de ce forum, j’ai (pompeusement) créé le Collectif Anarchiste Namurois qui n’est, à l’heure actuelle, qu’à l’état de blog sur lequel sont postés des articles de presses alternatives, des vidéos, des invitations à manifester... Voilà enfin l’idée de créer une CNT en Belgique. En cherchant des liens à poster sur le blog, j’ai fait la connaissance de quelques membres de la CNT française qui ont à chaque fois donné suite à mon courrier (ce qui n’est pas forcément le cas des autres organisations). Après avoir pris pas mal de renseignements, innondé leur boîte mail, je me suis dit qu’il était peut-être temps de lancer une alternative, parfaite jonction entre politique et syndicalisme. Plus besoin de parti ni de syndicats qui y sont liés. L’anarchosyndicalisme ou le syndicalisme révolutionaire sont des formes de politique dans lesquelles l’homme est au centre des préoccupations. A 35 ans, je sais enfin pour quoi m’engager !
Quelle est la réalité du mouvement anarcho-syndicaliste et plus généralement libertaire en Belgique ?
Des tentatives ont déjà vu le jour tant du côté de la CNT que, plus récemment, celui de la CNT-AIT. Les événements ont fait qu’elles ont été avortées ou sont tombées dans l’oubli. Par contre, le mouvement libertaire donne l’impression de se développer. La Flandres donne l’exemple avec un nombre inouï de groupes en tous genres mais ni Bruxelles ni la Wallonie n’ont à rougir. La qualité y est privilégiée (humour). Cependant, d’après moi, toutes ces organisations souffrent d’un "replis identitaire", d’un manque d’ouverture dictée par des dogmes anarchistes. Toujours d’après mon opinion, une révolution ne peut être lancée que si elle est entendue par le plus grand nombre. Certains compromis sont donc parfois à faire (représentativité en entreprise, par exemple) si on souhaite que le message soit diffusé à tous et non réservé à une "élite". Certains craignent aussi une perte d’autonomie en faisant partie d’une organisation officielle (CNT) alors que rien n’empêche l’affiliation à un syndicat et l’appartenance à une organisation plus locale.
Quel est le panorama du syndicalisme belge et ses spécificités ?
A l’heure actuelle, trois "couleurs" syndicales se partagent l’affiche : la CSC (ouvrier) - CNE (employé) est le syndicat majoritaire depuis quelques années suivi de la FGTB (o) - SETCA (e) qui a cédé son leadership et finalement la CGSLB (tous statuts) qui représente environ 10% de monde syndical. Bien qu’elles s’en défendent, ces organisations sont étroitement liées aux partis politiques et, dans une autre mesure, avec le patronat. Comme partout, les grands discours prononcés par les divers présidents ne se reflètent pas spécialement sur le terrain. Sinon, un syndicat est une organisation de fait (et non de droit) qui doit comporter 50 000 membres pour pouvoir organiser des actions syndicales et se présenter aux élections sociales. L’organisation doit aussi être interprofessionnelle. Par contre, n’étant pas juriste, je ne connais ni les formalités ni les droits et obligations d’un syndicat. Comme d’habitude, mes questions restent sans réponse...
Dans le passé, autour de la lutte des forges de Clabecq et de D’Orazio, a existé un courant « lutte de classe » au
sein de la FGTB. Existe-t-il toujours ?
Que faut-il penser de tout ça ? L’histoire de la fermeture de forges a été une catastrophe pour la région, surtout que la Belgique est un des berceaux de la métallurgie. Mais là où les outils se sont modernisés ailleurs, ils ne l’ont pas été chez nous... Fallait-il accepter cette fermeture comme une fatalité ? Je ne crois pas. Faut-il parler d’un courant "lutte des classes" à cette époque à la FGTB ? Je ne crois pas non plus sinon on en parlerait encore aujourd’hui ; hors ce n’est pas le cas. On n’entend d’ailleurs parler ni de lutte des classes ni de D’Orazio. En Belgique, si ce n’est dans certains milieux "autorisés", les classes ne font plus recettes, elles ont un caractère désuet alors que, si on y réfléchit un peu, on constate que le peuple s’est bien fait endormir ces dernières décénies et que, même si elle a acquis une forme plus subtile, plus sournoise, elle existe toujours. Les travailleurs sont malheureusement pieds et poings liés, tenus de la boucler sous peine de perdre un boulot qui finance la maison, la voiture, la bouffe, les études des enfants, les vacances, GSM, écran plat, PC... Malgré tout, je reste confiant. L’homme industrialisé n’est pas heureux malgré toute cette "poudre aux yeux" qui lui fait croire à la puissance, au bonheur ultime. Un jour, la faim touchera à nouveau le travail et là, va falloir être prêt. Certains se rendront à nouveau compte qu’ils ont été bernés et qu’une seule classe prend toutes les décisions en sa faveur et au détriment de la grande majorité.
Propos recueillis par Jérémie, SI de la CNT.
Contact: cnt.b.info@gmail.com
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